Depuis qu'elle a lancé l'appel pour récolter des cheveux, censés absorber le fioul dans l'eau, Julie de Rosnay reçoit quotidiennement des coups de fil. « On me demande si j'ai encore besoin de cheveux. Je réponds : oui, oui, nous allons encore en avoir besoin pendant de long mois. »
Après le naufrage du vraquier Wakashio au sud est de l'île Maurice le 25 juillet, les volontaires mauriciens se sont démenés pour éviter une catastrophe environnementale. Vendredi 7 août, le gouvernement s'est décidé à intervenir et le pompage de l'huile lourde avance bien. Mais il reste environ 400 tonnes de diesel dans les eaux mauriciennes, selon l'ONG locale Eco Sud. Les habitants de l'île restent donc mobilisés, contre l'avis des autorités.
Les mains dans le fioul
« Depuis que le gouvernement s'est réveillé, le mot d'ordre c'est : pour votre santé, ne touchez plus au fioul », raconte Sébastien Sauvage, porte-parole d'Eco Sud. L'ONG a même imprimé le message sur des affiches à destination des bénévoles. Mais parfois le besoin d'aider est trop fort.
« Quand vous vivez de la pêche ou du tourisme et que vous voyez votre forêt de mangroves recouverte d'huile, c'est très difficile de rester les bras croisés », confirme Mélissa Le Clézio, qui gère la coordination des équipes de bénévoles à Maurice.
Équipés de bottes, de gants et de combinaisons, les Mauriciens continuent d'extraire le fioul lourd de l'eau à l'aide de pelles. Ils n'hésitent pas à partir en mer pour récupérer les matières toxiques et les stocker dans des barils. « Des pêcheurs nous ont prêté leurs bateaux », raconte Laila R., une bénévole très engagée.

Des habitants qui étaient descendus dans la nappe de mazout se sont plaint d'avoir de l'asthme, les yeux qui brûlent et des irritations. « Pour les aider, des médecins volontaires sont venus sur les plages », révèle la jeune femme. « On a demandé il y a cinq jours la fiche technique du carburant pour connaître les risques encourus mais on ne l'a toujours pas reçue », se désole Sébastien Sauvage d'Eco Sud.
Mais entre les douleurs physiques et la tristesse de voir leur patrimoine naturel anéanti, beaucoup préfèrent continuer. « Nous avons décidé que les volontaires devraient désormais avoir plus de 18 ans pour participer, raconte Laila R. Et nous nous protégeons autant que possible avec des gants, des bottes… »
La défiance envers le gouvernement, accusé d'avoir réagi trop tard, n'arrange pas les choses. « Ils disent qu'ils ont retiré toute l'huile du bateau mais les gens se demandent si c'est vrai car on n'a aucune preuve », s'interroge la bénévole.

Depuis le 7 août, les autorités ont fermé l'accès à la zone dans laquelle se trouve l'épave du Wakashio, ainsi que les plages du sud de l'île, où se rassemblent Laila et ses amis. « Elles sont devenues des restricted areas (zone interdite NDLR), la police a le droit d'utiliser la force pour nous déloger, mais on continue sans vraiment savoir s'ils vont le faire ou pas », poursuit-elle.
Boudins de cheveux
La mobilisation de tous est pourtant essentielle. Et certains Mauriciens ont trouvé comment apporter leur aide sans se mettre en danger. Ils confectionnent de grands boudins remplis de paille afin d'absorber et contenir le fioul dans la mer. « Par chance, à Maurice nous sommes actuellement en pleine période de coupe de la canne à sucre. Donc nous avons pu récolter des tonnes de paille pour nos bouées », raconte Mélissa Le Clézio, qui habite le nord de l'île et qui a créé un atelier près d'une usine sucrière.

La jeune femme s'émerveille de la générosité et de la solidarité qui règne sur l'île. « En 33 ans à Maurice, c'est la première fois qu'on a une mobilisation à cette échelle. » Au sein de l'atelier, les habitants cousent, récoltent de la paille, du fil de nylon, du ruban adhésif, et transportent les boudins sur les plages.
Quand ils n'ont plus de paille, les Mauriciens remplissent les boudins avec… des poils et des cheveux. « Des gens font le tour des salons de coiffure de l'île pour les ramasser », précise Mélissa Le Clézio. « Des coiffeurs sont même venus couper les cheveux des volontaires directement sur les plages », ajoute Laila R.
Marée noire sur l'Île Maurice : « On fabrique des bouées avec des cheveux et des plumes de pintades »
Pour l'heure, leurs efforts ont déjà permis de collecter une tonne de cheveux, qu'ils sont en train de mettre à l'eau. Et il en afflue depuis de nombreux pays. « Je viens d'avoir un coup de téléphone de l'Afrique du sud qui a 50 tonnes à nous donner », livre Julie de Rosnay, qui gère la collecte. Coup de chance, un mouvement citoyen sud africain a trouvé un gigantesque stock de cheveux inutilisés dans un hangar. « Ils devaient servir à faire de l'engrais à la base », explique-t-elle.
En France, une clinique vétérinaire de Maraussan, près de Béziers (Hérault), a même fait don des poils des animaux tondus sur place. Mais les bénévoles n'ont toujours pas obtenu le feu vert du gouvernement pour l'importation de ces drôles de cargaisons.
Malgré les obstacles, les Mauriciens gardent espoir. « Il faut à tout prix garder cette mobilisation », martèle Sébastien Sauvage. Il reste énormément de travail de nettoyage des mangroves, des îles et de la faune sous-marine. « Je pense qu'il serait plus logique que la communauté locale reçoive des formations au nettoyage et travaille, plutôt que de faire appel à des compagnies privées », insiste-t-il.
Outre son impact environnemental, la marée noire risque en effet de provoquer une grande détresse financière chez les pêcheurs mauriciens et les professionnels du tourisme. Et ces derniers ont déjà été très affectés par le ralentissement des liaisons aériennes lié à la crise du Covid-19.
August 14, 2020 at 12:03AM
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Des pelles, de la paille et des cheveux : les Mauriciens ont pris les armes contre la marée noire - Le Parisien
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